Nos ancêtres avaient placé le long des routes, sur presque tous les points culminants, des croix que, dans ces temps d’insécurité, les voyageurs invoquaient contre les dangers de toutes sortes auxquels ils étaient exposés.

Cet usage était général et très ancien, l’érection des trois croix du Calvaire était relativement plus récente et moins répandue; elle ne datait guère que de l’expulsion de la Terre-Sainte des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

Réfugiés dans l’Île de Rhodes, ils y avaient conservé le souvenir de la Passion de Jésus-Christ et des lieux vénérés qu’ils avaient perdus, en imitant les stations de la voie douloureuse, au moyen de piliers qu’ils firent dresser le long d’une grande rue, au bout de laquelle s’élevait un Calvaire. Un chevalier de Rhodes, Pierre d’anglisberg, devenu commandeur de la commanderie de Saint-Jean-Baptiste de Fribourg, fit établir dans cette résidence un Mont-Calvaire avec sept piliers exactement semblables à ceux qui existaient dans l’Ile de Rhodes.

Un pieux habitant de Romans-sur-Isère, Romanet Boffin dit Richard, que des affaires commerciales attiraient à Fribourg eut l’occasion de voir la construction faite par le commandeur d’Anglisberg. Il en fut si édifié qu’il projeta de faire élever dans son pays un Calvaire semblable.

Il existe à ce sujet une attestation des autorités de la ville de Fribourg, en date du 10 novembre 1516, portant que Romanet Boffin avait pris fidèlement le plan et la distance des sept piliers érigés dans leur ville, lors d’un voyage qu’il avait fait au mois de décembre de l’année précédente.

Le lieu le plus convenable pour l’établissement d’un Calvaire était tout indiqué par la situation topographique et par la tradition : il était placé à l’occident de Romans-sur-Isère, à 600 métres de la porte de Clérieu, et portait primitivement le nom de Chiron ou Chaffe.

A l’exemple de ce qui avait lieu à Jérusalem, le chapitre de Saint-Barnard, portant les reliques de son bienheureux patron, se rendait, le jour des Rameaux, en procession à un lieu désigné par suite sous le nom de Rampeaux, pour exprimer vulgairement in ramis palmarum. La solennité de cette procession la rendait fort populaire et fit naître la tradition d’un jeu auquel fut donné le nom de Rampeaux.

Placé sur un lieu retiré, au couchant de la ville, fondé avec l’approbation des plus hautes autorités et les sympathies des habitants, enfin desservi par de pauvres et dévoués religieux de Saint-François, le Calvaire et le couvent attenant ont cependant subi, depuis l’époque .de leur fondation et durant trois siècles et demi de leur existence, plus de tribulations, d’oUtrages et de calamités qu’aucun autre établissement religieux.

Leur existence semble conforme aux saints et douloureux évènements qu’ils ont pour but de rappeller : incendié, spolié, démoli, vendu, chaque fois le Calvaire de Romans-sur-Isère s’est relevé de ses ruines et a été rendu à sa destination première.

Romanet Boffin ayant l’intention de réunir dans le même lieu tous les mystéres qui sont compris au Mont-Calvaire de Jérusalem et même d’y construire un couvent pour des religieux de l’ordre de Saint-François, qui seraient dévoués au service de ces saints lieux, comme il y en a à Jérusalem, consacra à ce dessein un vaste emplacement, de la contenance d’environ sept setérees (2 hectares 40 ares). Ce terrain, dont lui et sa famille possédaient déjà une partie fut acquis par donations, par achats et par échanges.

Ceux qui donnérent furent, entre autres, Marguerite Forton et Pierre Pétieu, son fils, par acte des 22 avril et 9 octobre 1516. Me Barthélemy Dorade, notaire, par acte du 7 février, offrit un petit coin de terre pour y élever le Mont-Calvaire et vendit, le 25 juin, un terrain pour faire la station des pleurs. En 1517, Charles Jomaron, prêtre de l’église collégiale de Saint-Barnard, fit don, le 7 avril, d’une petite pièce de terre proche le lieu des larmes.

Les achats furent ceux d’une parcelle vendue par Jacques Seissel et Catherine Cordier, sa femme, par acte du 16 février 1516; d’une autre terre de cinq quartelées (40 ares) de Pierre Berger, le 17 décembre suivant. Enfin Romanet Boffin fit l’échange d’un terrain contenant trois éminées (51 ares) appartenant aux mêmes Jacques Seissel et Catherine Cordier, à qui il donna une autre parcelle de pareille grandeur et valeur; le reste fut pris sur ses propres terres.

Le premier établissement créé par Romanet consistait simplement, outre le Mont-Calvaire, en sept piliers marquant les principales stations, et dont le premier était plaoé dans l’église de Saint-Barnard. Il obtint la permission du chapitre et celle des consuls de la ville.

Le Mont-Calvaire était une bâtisse large et majestueuse, representant une montagne artificielle où l’on montait par le même nombre de marches d’escalier qu’on en compte à Jérusalem pour accéoer de l’église au lieu même où Jésus-Christ fut crucifié. Cette construction nécessita l’emploi de 9 500 quattiers de pierre. La croix du bon larron était à quatre pieds de distance de celle de Jésus et celle du mauvais larron à six. La croix de Jésus avait quinze pieds de hauteur et le croizon huit de largeur; il était garni de la lance, de l’éponge, des fouets et de la couronne d’épines, avec un entablement en forme d’autel autour de la croix, de dix pieds de long, sept de largeur et deux de hauteur. Enfin il régnait autour du mont un petit parapet, orné au-dessus d’anges portant les mystères de la Passion.

Auprès de ce mont artificiel, Romanet Boffin fit ériger en relief les effigies des trois Maries, et ce lieu est encore appelé le lieu des pleurs. Un peu plus loin, il fit construire en pierre de taille le sépulcre de Jesus-Christ, lequel miraculeusement conservé, subsiste encore de nos jours. Enfin, il fonda dans le voisinage un petit couvent ou, pour mieux dire, un hermitage et une chapelle seulement pour trois religieux de l’Observance.

La première pierre de ces édifices avait été posée le 15 mars 1517, en présence des autorités et d’un grand concours de monde et deu notaire Jacques Baile, qui dressa le procès-verbal de cette cérémonie.

Le roi François Ier prit sous sa protection les religieux, le fondateur et les bienfaiteurs du Calvaire par lettres patentes du 23 mai 1521. Car ce lieu était déjà un but de pélerinage où aflluaient un grand nombre de fidèles. Dès 1516, des ouvrages imprimés à Paris, à Lyon, à Tournon étaient destinés à servir de guide et d’instruction aux pélerins. Vers cette époque (aoû 1516), deux religieux de Saint-François, Frère Ange de Linx, natif de Beauvais, et Frère Laurent Morelli, de Saint-Jean-de-Maurienne, revenant de la Terre-Sainte, où ils avaient résidé sept années, dirent en leurs prédications publique, après avoir visité Romans-sur-Isère, que si on avait bâti cette ville à dessein et sur le modèle de Jérusalem, on ne l’eut pas mieux proportionnée.

Ils démontrérent au fondateur du Calvaire qu’on pourrait facilement distribuer toutes les principales stations de Jérusalem autour de la ville de Romans-sur-Isère. Cette proposition enthousiasma Romanet Boffin, qui sans retard partit pour Rome, où il obtint du pape Léon X une bulle en date du 8 février 1517, l’autorisant à faire le voyage en Terre-Sainte.

II se fit accompagner d’un maître maçon ou architecte, afin de prendre sur les lieux mêmes les distances, les emplacements et les aspects qu’il voulait reproduire dans sa ville natale. C’est ainsi que parlent tous les auteurs qui ont écrit sur le Mont-Calvaire de Romans-sur-Isère, et cependant Ulysse Chevalier et M. Duportroux pensent que ce voyage n’a pas pu avoir lieu. En suivant les actes concernant Romanet Boffin, on ne trouve pas la place d’une assez longue absence pour lui permettre de faire un voyage comme celui de Jérusalem, qui alors nécessitait un temps considérable.

Quoi qu’il en soit, Romanet se mit résolument à l’oeuvre, mais non sans entraves et persécutions. A l’occasion des quêtes faites par des jeunes gens de bonne maison, il s’éleva un orage aussi inconcevable par sa cause que par sa violence. Ces quêteurs furent mis en prison, Romanet Boffin fut cité en justice, affligé en sa personne, ses parents et ses amis. Un interdit fut jeté sur la ville de Romans-sur-Isère; les cloches cessérent de sonner, les offices de se dire, la messe d’être célébrée.

Mais, en face de si prodigieuses persécutions, le zèle du fondateur du Calvaire se réveilla; si ses ennemis étaient violents, il acquit des protecteurs qui étaient puissants. Il fit intervenir les plus grands personnages de la Chrétienté : le Souverain Pontife, les cardinaux, le vice légat d’Avignon, l’archevêque de Vienne, les évêques d’Orange, de Viviers, de Valence, de Grenoble, de Gap; outre plusieurs seigneurs, le roi, la reine, le connétable de Bourbon, le parlement de Grenoble. Avec de tels appuis, la cause de la justice l’emporta et les quêtes purent se faire comme avant.

Mais les tribulations allaient recommencer pour ce malheureux Calvaire. Les constructions étaient à peine terminées, que, le 29 novembre 1548, le feu fut mis au couvent. Sous prétexte d’apporter des secours, des malfaiteurs dépouillèrent cette maison de la plupart de ses meubles et de ses papiers : le couvent, l’église et la sacristie furent entiérement consumés. Des lettres patentes de Henri III, du mois de février 1549, ordonnèrent d’informer sur ce fait. L’année suivante, une requête aux mêmes fins fut présentée au parlement par le Père provincial; enfin un monitoire du pape Jules III, donné l’an 1553, prescrivait la révélation des incendiaires et de ceux qui détenaient les papiers. Quoique connus, les coupables ne furent pas poursuivis, parce qu’ils appartenaient en général à ces familles influentes.

Inquiété, tracassé, persecuté, comme on l’a vu, au sujet des quêtes, Romanet Boffin avait été dans la nécessité de remettre, le 3 mai 1516, les clefs des troncs aux chanoines de Saint-Barnard et, par acte du 2 octobre 1519, de donner à la ville l’oratoire du Calvaire, possessions et édifices.

Voici le texte de cet acte : “2 octobre 1519. Romanet Richard déclare qu’il a acquis de ses propres deniers et par donations faites par diverses personnes pieuses plusieurs terrains situés prés de la ville, au mandement de Monteux, au lieu dit des Rampeaux, où il a faict édifier un Mont-Calvaire et autres oratoires représentant les mystères de la Passion en la maniere des saincts lieux de Jhérusalem, et que les chanoines prétendoient que ces lieux leur avoient esté donnés et cédés par ledict Romanet, il se réserve, lui vivant, de compléter et entretenir les dicts oratoires; et qu’il en transporte, donne et cède à la ville par donation pure et irrévocable. Les consuls stipulant et recevant au nom de toute la communauté de la ville les dicts oratoires, possessions et édifices, s’engageant à employer à leur entretien les aumosnes qui seront données.”

Romanet Boffin résolut d’établir près du Calvaire de Romans, à l’imitation de ce qui a lieu pour le Saint-Sépulcre, des religieux de l’ordre de Saint-François pour maintenir en état les stations, célébrer le service divin et administrer les sacrements et les consolations aux pélerins pour l’accomplissement de leurs voeux. En conséquence, par une bulle du 4 mars 1516, le souverain pontife Léon X permit de placer des religieux franciscains au Mont-Calvaire de Romans-sur-Isère et de leur construire une maison religieuse au même lieu. Enfin, le 15 mars 1517, en vertu d’une licence donnée par le vice-légat d’Avignon, avec l’aide et la protection du roi François 1er, de la reine Claude et du connétable de Bourbon, en présence de Frère Louis Combe, religieux de Saint-François, député par ses supérieurs, Romanet Boffin posa la premiére pierre du couvent, dans le creux de laquelle on mit plusieurs piéces d’argent au coin des dits princes et princesse.

Le procès-verbal de cette cérémonie fut dressé par Jacques Baire, notaire, et signé par de nombreux témoins. Tous les édifices furent bénis. Enfin cette donation aux Frères-Mineurs fut approuvée et confirmée par lettres patentes de François 1er données à Dijon, le 23 mai 1528. Les premiers auteurs qui ont écrit sur le Calvaire de Romans-sur-Isère, rapportent plusieurs faits miraculeux qui ont eu lieu peu après la fondation de cette oeuvre de piété; ce sont, en abrégé :

1° Un aveugle, du nom de Pierre Guiller, qui recouvra la vue après avoir longtemps vécu dans un état complet de cécité.

2° Un estropié qui obtint sa guérison pendant une neuvaine.

3° La résurrection, à la suite d’un voeu fait au Calvaire, d’un enfant de deux ans, du nom de Humbert, fils de Henri Vincent, de Moyrans, “qu’on cuydoit estre mort”. Ce miracle fut constaté par un procès-verbal dressé par le notaire Jehan du Bois, le 12 mai 1517, sur l’instance des consuls de cette ville et sur la déposition des père et mère de l’enfant venus en pélerinage et logés à l’hôtel du Chapeau rouge. Plusieurs auteurs ajoutent que Henri Vincent, en reconnaissance de la résurrection de son fils, donna un domaine à l’hôpital de Romans-sur-Isère.

4° Noble et vertueuse dame, Jeanne de Lacroix, épouse de Félicien Boffin, avocat général au parlement de Grenoble, fut guérie d’une perte de sang qu’elle éprouvait depuis longtemps.

5° Antoine Garagnol, juge royal de Romans-sur-Isère, dans une grave maladie, s’était retiré à la Roche de Glun. Il fit, en reconnaissance de sa guérison, reconstruire le sépulcre du Calvaire qui avait été ruiné par les hérétiques.

Le jour des Rameaux de l’année 1562, les calvinistes, avant d’entrer au prêche, allèrent en plein jour mettre le feu aux trois croix du Calvaire. Ils firent usage, dit la tradition, d’un feu grégeois qui “brûlait même la pierre” et que l’eau ne pouvait éteindre. Plusieurs maisons furent construites avec les matériaux provenant de la démolition des stations, et l’on remarqua que les maîtres de ces maisons eurent une mauvaise fin.

Les religieux franciscains abandonnèrent leur couvent le 16 mai 1562, tant parce que plusieurs d’entre eux avaient apostasié qu’à cause des risques qu’ils couraient chaque jour pour leur vie. On y mit un gardien qui, homme de mauvaises moeurs, fit du couvent un repaire de débauches. Un misérable s’installa comme dans une chambre au caveau du Sépulcre; une femme se pendit à la traverse d’une croix, etc.

Dans l’enlèvement de l’argenterie des églises, fait par ordre du baron des Adrets, le 12 juin de la même année, celle du Calvaire figura pour cent marcs. Mais comme les religieux, en abandonnant leur couvent, avaient confié leur argenterie en dépôt aux consuls, ils actionnèrent la ville à leur retour.

Malgré l’édit de paix publié à Orléans, les franciscains ne rentrèrent pas dans leur monastère. Ils le laissèrent inhabité pendant vingt années, de 1562 à 1583.

Le 29 juillet 1583, Félicien Boffin, seigneur d’Argenson, avocat général au parlement, fils de Romanet, passa une convention avec le Père Baltlhazar Brochet, provincial des Pères de l’Observance, pour faire desservir le couvent du Calvaire par des religieux de son ordre.

A la suite d’une transaction, les Récollets furent établis en remplacement de ces derniers, par une bulle du pape Clément VIII, du 7 septembre 1612. En conséquence, le 27 novembre de la même année, le Père Picquet, gardien du couvent des Cordeliers de Romans-sur-Isère, malgré une ordonnance de l’archevêque de Vienne, mit en possession du monastère du Mont-Calvaire le Père Gay, dit Saint-Sixte, custode des Récollets.

Le surlendemain, l’archevêque réprima cette désobéissance en interdisant aux religieux Cordeliers et Récollets de Romans-sur-Isère de prêcher et d’administrer les sacrements. On passa outre, et finalement le traité fut conclu par le consentement de la famille Boffin, le 24 janvier 1615, par le général de l’ordre le 6 janvier et le 13 septembre par lettres patentes du roi. Thomas Boffin, baron d’Uriage, continuant les traditions généreuses de sa famille, accorda aux Récollets l’ermitage de Saint-Aynard, avec mille toises de bois autour.

Depuis la fondation du Mont-Calvaire, il était d’usage de fréquenter ce lieu saint et d’y faire, sous la conduite d’un prêtre ou d’un religieux, les mêmes cérémonies qu’on fait au Saint-Sépulcre de Jérusalem. Ces dévotes pratiques avaient été discontinuées depuis 1561, en raison des violences de l’hérésie, mais elles furent rétablies après l’époque de la grande peste de 1628. Un redoublement de piété se porta sur le voyage du Calvaire par le zèle de quelques femmes vertueuses qui, se souvenant de cette pieuse coutume, se donnèrent rendez-vous sur le pont de l’Isère, le lundi-saint. Elles marchèrent pieds nus, portant chacune un cierge allumé, allant deux à deux et s’arrêtant pour prier devant chacun des lieux où elles avaient vu autrefois des stations. Cette manière austère de pratiquer le voyage, et surtout par un temps froid, eut des suites funestes pour plusieurs de ces dames, entre autres pour la femme de Raymond Bourget, qui en mourut.

Les stations étant ruinées et les terrains usurpés, on rechercha les anciens emplacements. Les religieux Claude Bouchard et François Adrien portèrent sur leurs épaules des croix, qu’ils allèrent planter à chaque lieu qu’occupaient les anciennes stations.

Les Pères Récollets employèrent les abondantes aumônes et les libéralités des personnes pieuses à réparer les lieux saints, et les habitants mirent un grand empressement et un grand zèle pour rétablir les trente-sept stations. Un particulier, prenant un singulier plaisir à voir reconstruire le Calvaire, y fit apporter un barral de vin pour faire boire les maçons et manoeuvres, et duquel buvaient aussi les spectateurs. Néanmoins il ne discontinua pas jusqu’a ce qu’on eût mis la dernière main à tous les bâtiments, d’où est venu le dicton: “Cela dure comme le barral du Mont-Calvaire”. Le Père Enfantin veut voir la un fait miraculeux, mais un observantin, le Père Picquet, qui avait été gardien du couvent de Romans-sur-Isère, fait remarquer que si le barral dont buvaient les ouvriers ne désemplissait pas, c’est parce que des personnes charitables y mettaient du vin au fur et à mesure qu’il se vidait: ce qui, ajoute sensément M. Duportroux, au grand mécontentement du Père Enfantin, suffit pour montrer l’origine du proverbe sans y voir ni miracle ni supercherie.

Malgré le dévouement des religieux et des personnes pieuses, l’ouvrage resta incomplet, puisqu’on ne comptait que quatorze stations en 1630 ; ce n’est que vers 1641 que tout fut achevé, sauf que lorsqu’il y avait eu impossibilité de placer certaines stations à l’endroit où elles étaient dans le principe, on s’en était rapproché autant que possible.

A la fin du XIXè siècle, le Voyage, c’est-a-dire la visite des stations, est encore fréquemment accompli par des personnes de la ville, particulièrement en commémoration du décès des parents. Il l’est aussi, au moins une fois annuellement, par le clergé des paroisses, accompagné de nombreux fidèles faisant partie en général des confréries. On a vu les babitants des villages des environs venir au Calvaire en procession, pour remplir des voeux faits a l’occasion de quelque fléau: ainsi firent ceux de Saint-Paul, en 1864, après qu’ils eurent été délivrés d’une épidémie de choléra.

Le Mont-Calvaire de Romans-sur-Isère fut pendant longtemps l’unique établissement de ce genre que l’on vit en France. Aussi, la plupart des étrangers qui passaient dans cette ville, ne manquaient pas de le visiter, soit par dévotion, soit par simple curiosité. Ainsi on lit dans la Maison de Saint-François de Salles, par Nicolas d’Hauteville (1669), p. 601: “Charles Auguste de Salles occupa ses vacances, selon son ordinaire, aux actions de religion et de piété, parmi lesquelles il faut remarquer le dévôt pélerinage qu’il fit au Mont-Calvaire de Romans-sur-Isère, pendant lequel il récita tout le psautier sans lire une seule parole.”

Sous la garde des Pères Récollets, le Calvaire de Romans-sur-Isère continua à attirer de nombreux pélerins. Ils étaient devenus possesseurs d’un morceau de la vraie Croix, enchassé dans un crucifix d’argent que leur avait donné le Père Marc Doysieu.

Enfin, le pape Innocent XI, par un bref de l’année 1679, avait attaché les mêmes indulgences au Calvaire de Romans-sur-Isère que celles, qui sont accordées à ceux qui visitent les stations de Jérusalem.

C’est dans cette situation que la Révolution de 1789 trouva le couvent et le Calvaire de Romans-sur-Isère qui, l’un et l’autre, ne furent pas respectés comme tout ce qui alors portait l’empreinte du Christianisme. Les religieux sortirent de leur couvent pour profiter du decret du 14 août 1790, qui leur accordait une pension. Trois anciens chartreux de Bouvante se rendirent acquéreurs du couvent des Récollets, le 31 mars 1791, sans rencontrer aucune concurrence, et même ils n’éprouvèrent aucun dommage ni offense pendant les jours orageux de la Révolution.

Mais l’impièté destructive commença ses ravages le 15 janvier 1794. Une troupe furibonde accourut au Calvaire, tambour battant. Elle avait à sa tête un paysan d’une commune voisine, muni d’un ordre du procureur de la commune, de Romans-sur-Isère. Il se fit remettre les clefs des chapelles. Après avoir commis bien des désordres, cette bande s’en retourna en ville, remportant comme un trophée la cloche de l’église. Bientôt après, les autels et les statues furent renversés et le Saint Sépulcre entièrement ruiné. L’église fut vendue au profit de la nation le 5 thermidor an IV (23 juillet 1796), pour le prix de 5 230 livres en assignats. Le clos du calvaire devint le cimetière de la commune et conserva cette destination jusqu’en 1812.

Après avoir passé dans une sécurité relative des temps si pénibles ailleurs, les Pères Chartreux résolurent par reconnaissance de consacrer l’ancien couvent du Calvaire, après leur mort, à quelque établissement utile à la ville de Romans-sur-Isère. En effet, le Père J. F. Deglos de Besse, ancien religieux de la grande Chartreuse, souscrivit, le 16 juin 1815, donation au profit des hospices de l’ancienne maison des Récollets et de ses dépendances, à la condition de rétablissement d’une école de la doctrine chrétienne. Ce qui fut approuvé par un décret en date du 8 mars 1814.

Se voyant reduits à quatre, non compris le général de l’ordre, qui se trouvait en exil à Romans-sur-Isère, et une ordonnance royale du 27 avril 1816 ayant autorisè les anciens Chartreux à ouvrir une maison de retraite dans les bâtiments de la grande Chartreuse, les Pères de Romans-sur-Isère quittèrent les Récollets ,le 1er juillet suivant, moyennant une pension viagère de 400 livres.

L’administration des hospices trouva avantageux de céder le couvent des Récollets aux supérieurs du séminaire diocésain pour y former un établissement religieux. Par une convention du 15 mars 1817, il fut loué 500 francs, puis vendu, sous certaines conditions, à l’évêque de Valence le 25 novembre 1822, au prix de 12 000 francs, non compris l’église qui fut cédée plus tard au diocèse par M. le marquis de Pina, héritier de M. du Vivier. Le Calvaire avait été donné, suivant acte du 15 novembre 1820, par M. Pierre Larra, qui s’était réservé une chapelle pour sa sépulture et celle des membres de sa famille.

A la suite d’une mission donnée en 1820 par le Père Barthélémy Enfantin, missionnaire apostolique, une croix fut plantée sur le haut du Mont-Calvaire ou du moins sur les ruines de cette ancienne construction. Cette céremonie fut le prélude du rétablissement des stations, qui eut lieu l’année suivante, grâce aux sentiments religieux de la population et au zèle d’un vicaire de l’église de Saint-Barnard, M. Vinay.

Le Mont proprement dit, tout construit en pierres de taille sur des voûtes formant des caveaux funéraires, mesure vingt cinq mètres de longueur, seize de largeur et quatre de hauteur. On y accède par trois escaliers. Le plus large, à l’orient, a dix huit marches, séparées par un repos. Les deux autres escaliers, l’un au midi et l’autre au nord, ont vingt et une marches. Sur la plate-forme du Calvaire il y a six stations, en forme de petites niches. Les trois croix avec personnages sont en fonte, ainsi que les deux statues placées aux pieds du Christ. Elles ont été érigées dans le mois de mars 1867 et ont coûté la somme de 2 200 francs. Ces croix sont séparées l’une de l’autre de trois mètres et demi, mesure qui diffère de celle que donnent les anciens auteurs. Enfin, le tout est entouré d’un parapet à balustres. L’enceinte du Calvaire a soixante-cinq mètres de longueur, cinquante-deux de largeur, au fond, à l’ouest, et onze mètres et demi seulement vers l’entrée, c’est-à-dire au levant.

Du côté du nord sont sept grandes chapelles funéraires, différentes par le style et l’étendue, confiées à autant de familles de Romans-sur-Isère, qui y ont le droit de sépulture.

L’église des Récollets, de même que toutes celles de la ville, à l’exception de la collégiale de Saint-Barnard, avait le choeur voûté et la nef lambrissée avec des liteaux disposés en forme de caissons. Cet édifice a trente-six mètres de longueur et dix de largeur. Le choeur a été divisé en deux parties; au-dessus est la bibliothèque et un petit clocher formant un dôme à quatre pans. Il renferme une horloge dite de quart, dont la cloche a été fondue en 1626. Il y a, du côté du sud, limitant la route de Tain, deux petites annexes servant l’une de chapelle et l’autre de sacristie. Félicien Boffin, seigneur d’Argenson, fit faire à ses frais la chapelle conventuelle et Thomas, baron d’Uriage, son second fils, fit construire le dortoir et donna le tableau placé derrière le grand autel et représentant un crucifiement.

Le cloître, évidemment du XVIIe siècle (le chapiteau de la première colonne en entrant porte le millésime 1645), est éclairé par vingt-quatre arcades à plein cintre, supporté par des Colonnes rondes reposant sur des banquettes. La cour ou préau forme un quatrilatère allongé, ayant vingt-deux mètres de côté.

L’appropriation en un séminaire a nécessité des remaniements et des constructions considérables. L’autorité diocésaine a remis à une commission, présidée par le supérieur du séminaire, la garde et l’entretien du Mont-Calvaire et des stations. Les dépenses nécessitées pour ces objets sont couvertes par les dons des fidéles et par la taxe payée par les familles pour les inhumations qui ont lieu dans l’intérieur du Calvaire, lesquelles ne sont pas toujours accompagnées de précautions hygiéniques suffisantes.

Sources : Archives municipales de Romans-sur-Isère – Ulysse Chevalier, Notice sur le Mont-Calvaire de Romans, 1883

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